A Chypre, la vie de la « start-up island » bouleversée par la guerre en Ukraine


A la sortie de l’aéroport international de Chypre, à Larnaca, un gigantesque panneau publicitaire accueille les arrivants. Sur l’affiche ne figurent ni le mouton sauvage ni la colombe, qui sont les deux symboles nationaux de ce petit pays européen, mais le personnage principal de Hero Wars, un jeu vidéo surtout connu pour ses publicités trompeuses sur les réseaux sociaux. Bienvenue dans le paradis européen des entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies.

Impôts ridiculement bas, proximité d’Israël et de ses sociétés high-tech, conditions de vie agréables, présence historique d’une importante minorité russe d’investisseurs fortunés : comme le confirment les documents du projet « Cyprus Confidential » coordonné par le Consortium international des journalistes d’investigation, auquel participe Le Monde, Chypre est depuis une décennie une sorte de hub pour les start-up et entreprises technologiques, qui forment une part importante d’une économie principalement tournée vers la finance, la logistique et le tourisme.

L’enquête « Cyprus Confidential »

Centre financier opaque, havre pour l’argent russe, zone grise de la cyberéconomie : l’enquête « Cyprus Confidential » raconte comment Chypre, petite île méditerranéenne, s’est laissé déborder par son industrie offshore, en devenant le maillon faible de l’Union européenne dans la lutte contre les flux financiers douteux.

Cette investigation s’appuie sur la fuite de 3,6 millions de documents confidentiels issus de six cabinets de services financiers chypriotes (ConnectedSky, Cypcodirect Corporate Services, DJC Accountants, Kallias & Associates, MeritKapital et MeritServus) et du registre de sociétés i-Cyprus. Ces « leaks » ont été obtenus par le Consortium international des journalistes d’investigation, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project et le média d’investigation allemand Paper Trail Media, avec l’appui de Distributed Denial of Secrets, un groupe d’activistes militant pour la transparence, puis partagés avec soixante-neuf médias internationaux, dont Le Monde.

Pour les sociétés russes et israéliennes du secteur de la tech, Limassol, la capitale économique située dans le sud de l’île, est devenue, au fil des ans, l’équivalent de Dublin pour les Gafam : une porte d’entrée en Europe. Mais, contrairement à l’Irlande, Chypre accueille surtout de petites et moyennes entreprises, pour beaucoup spécialisées dans la « zone grise » de l’économie numérique : sites pornographiques, régies publicitaires agressives, services de paiement à risque, vendeurs de technologies de surveillance, fermes de contenus…

« Migrants russes de la tech »

Depuis près de deux ans toutefois, la vie de la « start-up island » est bouleversée par un événement extérieur : la guerre en Ukraine. Le géant biélorusse du jeu vidéo de stratégie Wargaming, présent dans l’île depuis 2009 avec des studios annexes, a, par exemple, subitement fermé toutes ses activités en Russie et en Biélorussie en avril 2022, et renforcé sa présence à Nicosie, où il occupe un imposant bâtiment de verre. A Limassol, plus de 10 000 Ukrainiens se sont installés depuis le début de la guerre, d’après les estimations de la mairie. La ville côtière a également connu un afflux majeur de développeurs et d’ingénieurs russes fuyant la mobilisation militaire et le durcissement du régime.

« Les arrivées du secteur de la tech à Chypre se sont faites en plusieurs vagues », raconte Alexeï Goubarev, multi-entrepreneur qui a quitté la Russie il y a vingt et un ans pour s’installer dans l’île, et cofondateur de Techisland, le groupement d’intérêt des sociétés du secteur. « Plusieurs entreprises sont venues à la fin des années 2000, avec la crise financière, puis il y a eu des séries d’arrivées en 2012 et en 2018, notamment dans le secteur du jeu vidéo. Une communauté s’est créée en vingt ans, et cela facilite les installations. Et puis, bien sûr, il y a eu le déclenchement de la guerre en Ukraine au début de 2022 et l’ordre de mobilisation décrété en septembre par la Russie : beaucoup de jeunes ingénieurs se sont rendu compte qu’ils pouvaient être mobilisés. » M. Goubarev explique avoir lui-même relocalisé à Chypre ses salariés présents jusque-là en Russie ; il a par ailleurs renoncé à son passeport russe.

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Catégorie article Politique

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